Ma transition

crisalide

Dessin d'une femme émergeant d'une enveloppe charnelle d'homme. Elle est nue, à genoux, les mains sur les cuisses, à ses pieds un costume d'homme avec une fermeture à glissière dans le dos

Quand je vois le niveau de fantasme de certaines personnes en ce qui concerne les personnes trans et mon vécu, je suis assaillie de doutes. Sommes-nous réellement comme elles nous voient, nous décrivent ? Serais-je la seule à ne pas me reconnaître dans ce cliché transphobe ?

Ce qui suit est mon point de vue, (une partie de) mon vécu, avant et maintenant. Ça n'a aucune valeur universelle. C'est juste mon expérience. Mes doutes, mes certitudes, ma transition, ma vie. J'ose espérer que mes sœurs se reconnaitront dans les grandes lignes.

Pubertée

Tout a commencé à la puberté. J'ai peu de souvenirs avant. Si ce n'est que j'aimais bien faire du tricot avec ma grand-mère, souder avec mon grand-père, coudre avec ma mère, bricoler avec mon père, jouer aux cowboys avec ma cousine.

Quand la puberté est arrivée, je n'ai pas compris les changements de mon corps. Je ne voulais pas de ce truc entre mes jambes qui se développait. Je ne voulais pas cette voix qui muait. Je ne comprenais pas pourquoi j'étais un garçon. Je voulais tellement être une fille.

C'est un sujet dont je n'ai jamais osé parler à mes parents à cette époque. Parents très cathos pratiquants. Je me croyais folle. Je devais être un monstre pour penser de telles choses. Alors, j'ai essayé d'enterrer tout ceci au plus profond de mon être.

Représentation

À cette époque, il n'y avait quasiment aucune représentation des personnes trans à la TV ou au cinéma. La seule représentation de personnes queer que j'avais à cette époque était La Cage aux Folles, mais ça ne correspondait pas à ce que je ressentais.

Je n'ai jamais été attirée par les hommes. Je voulais juste être une fille. Tous les soirs, nous devions faire notre prière au bon Dieu. Je priais secrètement pour me réveiller fille le lendemain matin.

Incarnation

Ayant compris que je ne pouvais pas parler de ce que je ressentais, j'ai joué le rôle qu'on attendait de moi. Je devais être un garçon. Aux yeux de tous. C'était dur. Heureusement les jeux vidéo sont arrivés.

J'adorais les jeux de rôle, qui me permettaient de choisir le sexe et le prénom de mon avatar. Dans ces mondes alternatifs, j'étais Gwen, fière guerrière ou puissante magicienne.

Le temps d'un jeu, j'étais cette femme que j'aurais aimée être. Puis j'ai découvert les jeux de rôle. Au début, j'ai voulu aussi jouer des personnages féminins. Ça n'a pas toujours été facile (allusions homophobes).

Cependant, Gwendoline a pu exister des nuits entières (on jouait la nuit). Je pouvais parler librement de moi au féminin quand je l'incarnais, je m'incarnais, devrais-je dire. J'étais elle, elle était moi.

Dans l'ombre

J'ai vécu des années dans l'ombre. Homme de l'extérieur, femme à l'intérieur. La frontière était imperméable. Je voyais bien comment la communauté gay était traitée. J'avais peur que si ça se savait, on s'en prendrait à moi.

Et puis, je n'avais toujours pas de mots, pas de représentation. Je ne les cherchais pas. Je pensais être la seule, être folle. J'ai joué au mec typique. J'avais des potes, on buvait en se vantant d'avoir fait ceci ou cela. Les conquêtes, prouesses sexuelles, étaient leurs sujets de prédilection.

Je me sentais mal à l'aise et si loin de ça. J'aurais tant aimé passer mon temps avec des copines à discuter de ci ou ça. J'étais très mal à l'aise avec les filles de mon âge. Je les enviais d'être femme.

Je repense à une discussion avec un collègue juste après mon coming out. Il ne comprenait pas. À un moment, il m'a dit : "la plus belle chose d'être un homme, c'est voir une femme dans la rue et s'imaginer la conquérir"

Je lui ai répondu : "quand je vois une femme dans la rue, je me demande si j'aurais pu être comme elle". Il n'a pas su que répondre. Mais, revenons-en à ma jeunesse.

Amours

J'ai eu des relations amoureuses avec des filles. J'ai toujours été mal à l'aise lorsque venait le moment où les choses allaient plus loin qu'un baiser.

Je ne supportais toujours pas cette chose entre mes jambes. J'étais mal à l'aise quand elle se dressait, alors que j'aurais tant voulu qu'elle disparaisse. Encore plus quand elles la touchaient.

Je préférais regarder, admirer, respirer, parcourir, toucher, embrasser le corps de mon amoureuse. Je m'imaginais à sa place. Que ressentait-elle ? Je voulais être à sa place. Je voulais être elle.

J'ai fini par rencontrer celle qui allait devenir la mère de nos enfants. Ça a été le coup de foudre. J'étais heureuse avec elle. J'ai réussi à remettre mes questions sous le tapis. La vie était belle.

Coming-in

Et puis je me suis retrouvée à faire beaucoup de déplacements professionnels. Je partais le lundi matin pour ne rentrer que le vendredi soir. Seule dans une chambre d'hôtel en zone industrielle.

La tristesse est revenue. Les questions aussi. Mais nous étions en 2014. Il y avait Internet. De fil en aiguille, j'ai fini par trouver des réponses à mes questions.

Enfin, pas vraiment. Je ne savais toujours pas pourquoi. Mais je savais désormais que je n'étais pas la seule. Il y avait même un mot pour ça : trans. Malheureusement, il y avait un hic.

À cette époque, la psychiatrisation des personnes trans était encore très forte et je savais que notre couple ne tiendrait pas 3 ans de plus. J'avais peur que si j'en parlais et que nous divorcions, je pourrais être privée de la garde de mes enfants. On ne sait jamais comment un divorce va se passer.

J'ai donc décidé de garder tout ça pour moi. Fin 2015, ma femme et moi nous nous sommes séparées. La procédure de divorce aura duré plus de 4 ans.

À l'époque, j'ai une liaison avec une femme. Je n'ai jamais trouvé la force de lui en parler. J'avais peur de sa réaction (son père étant psychanalyste lacanien). Donc, j'ai continué à garder ça pour moi. Ça devenait de plus en plus dur. Les injonctions à être un homme me faisaient souffrir.

"Un homme, ça doit porter ses couilles", "j'ai bien senti que tu avais un côté féminin développé". Tant de phrases qui me donnaient envie de crier : "je suis une femme !"

Entre-temps, je m'étais inscrite sur Twitter. J'avais commencé à suivre des comptes de personnes trans (GalactiCamille, Jade Whirl, Daisy Letourneur, Khloé Lebrun, etc.). J'ai beaucoup appris en les lisant.

J'ai bingé toutes les vidéos YouTube de Yuffi (Tipoui !), Lucie Mang et tant d'autres sur la transidentité.

C'est aussi à cette époque que j'ai fait la découverte des TERFs et de la haine transphobe. J'étais outrée de voir tant de haine injustifiée envers des personnes qui souffrent au quotidien.

Coming out

J'ai fini par rencontrer une autre femme. Avec elle, tout était si simple. Cependant, il m'a fallu un an avant de pouvoir lui en parler. J'avais tâté le terrain. On avait regardé des documentaires sur la transidentité. Notamment celui d'Olivier Delacroix (cœur sur lui).

Elle n'avait aucun ressentiment envers les personnes trans, bien au contraire. Elle était pleine de compassion. J'avais envie de lui faire mon coming out. Mais j'avais tellement peur de la perdre. Je lui avais écrit une lettre, que je n'ai pas réussi à lui donner.

Et puis une nuit d'orage, le 17 septembre 2019, où nous avions passé 2 heures à éponger les fuites d'eau de son toit, j'ai fini par lui dire. Elle a été merveilleuse. Elle a tout de suite compris et m'a soutenue inconditionnellement.

Malheureusement, elle ne se voyait pas devenir lesbienne. Nous nous sommes donc séparées. Mais nous sommes restées super copines. C'est elle qui m'a accompagnée acheter mes premières fringues au rayon femme. C'est elle qui s'est offusquée quand les esthéticiennes ne me voulaient pas comme cliente.

J'ai ensuite fait mon coming out à mon meilleur ami. En effet, chaque fois que j'ai pris des décisions qui ne plaisaient pas à mes parents, ils l'appelaient pour qu'il me convainque de ne pas le faire. Or, j'appréhendais qu'ils fassent de même pour ma transition.

Mon pote m'a alors dit : "si ta mère m'appelle, je lui dirai votre fille à 51 ans, elle fait ce qu'elle veut". J'étais contente, car il me soutenait. J'ai fini par déchanter 1 an après. Je vous en reparle dans un instant.

J'ai ensuite fait mon coming-out à mon ex-femme, parce que je tenais à ce qu'elle soit là quand je le dirai à nos enfants. Elle m'a prise dans ses bras et on a pleuré toutes deux. J'ai de très bonnes relations avec elle, encore plus depuis. Elle me soutient énormément.

Elle m'a même dit que du coup qu'elle comprenait mieux certaines choses par rapport à la sexualité que nous avions, les choses que j'aimais faire et celle que j'appréciais sans plus, voir pas du tout.

Quand je l'ai annoncé à mes enfants, mon grand a tout de suite deviné mon prénom choisi (ben oui tous mes personnages sur les jeux vidéos sont féminins et s'appellent Gwendoline, ou Gwen si je ne peux pas choisir le genre). Le plus jeune se demandait comment il devrait m'appeler.

Je lui ai dit : "vous n'avez qu'une seule Maman. Donc, pour moi ça restera Papa, mais au féminin". Depuis, je les entends dire des choses comme "ce weekend, je suis chez ma Papa, mais elle est d'accord pour que tu viennes."

J'ai ensuite fait mon coming-out à mes parents. Je l'avais fait en terrain neutre, dans un restaurant, pour éviter l'esclandre si les choses tournaient mal (mes parents sont très "il faut sauver les apparences"). J'appréhendais la réaction de mon père, très réac. Mes enfants étaient là.

Passé l'annonce, je pensais que ça s'était super bien passé. Ma mère était contente, car elle allait enfin avoir une fille pour s'occuper d'elle pour ses vieux jours. Sauf que 15 jours plus tard, je suis allée manger chez eux. Et là, c'était pas la même.

J'allais tuer leur fils, j'étais brainwashée par le lobby LGBT (pas dit comme ça, mais c'était l'idée). Je devais aller voir un ami à lui, psy(chanalyste lacanien), et surtout pas un médecin qui allait me refiler des hormones comme ça.

Ça a été dur. Je suis rentrée chez moi en pleurs. Mais le temps à passé. On a continué de se voir. J'ai su par des tierces personnes qu'ils ont commencé à parler de moi en tant que Gwen. Puis le 15 aout, quand j'ai souhaité sa fête à ma mère, elle m'a répondu "merci ma chérie". J'en ai pleuré de joie.

Désillusion

Fin octobre 2022, j'avais invité une amie (à l'époque) à passer 2 semaines à la maison. Un soir que nous étions toutes les deux à chill dans le canapé, il est passé à l'improviste. Sur le coup, j'étais toute contente de présenter mon meilleur pote à mon amie.

Je lui avais demandé de ne pas la draguer (c'est un coureur de jupons invétéré) car elle n'était pas dans le mood pour ça. Il a passé la soirée à la draguer lourdement, à faire des réflexions racistes (elle est d'origine algérienne), à me mégenrer, m'appeler par mon deadname.

"Moi, j'ai le droit, car je te connais depuis plus de 30 ans". Mec, mes parents me connaissent depuis plus longtemps que toi, et ils ne me mégenrent pas (même si parfois mon père laisse échapper un "mon fils" et ma mère de le reprendre "c'est ta fille").

Bref, à 5h du matin, il se plaignait de ne plus rien avoir à boire. Il m'avait bu 1 bouteille et demie de whishy. On lui a dit de désaouler dans le canapé. À 6h son réveil a sonné non-stop. On a fini par sortir elle et moi de nos chambres respectives.

On s'est fait un café en attendant que monsieur se réveille. Quand ce fut le cas, il s'est étiré et en regardant mon amie, il a dit "j'ai une putain de gaule, je me ferai bien sucer" puis me regardant "tu ne veux pas aller dans ta chambre".

On l'a mis dehors. Au moment de partir, il nous a sorti "y en a quand même une de plus baisable que l'autre". Je l'ai recroisé 15 jours après. Je lui ai raconté ce qu'il s'était passé. Sa seule excuse : "J'étais bourré." Pas un seul "je suis désolé, j'ai merdé, je te demande pardon".

J'ai attendu 1 an qu'il daigne me présenter des excuses correctes. Rien. J'ai définitivement coupé les ponts avec lui.

Coming-out pro

Entre temps, j'ai commencé à en parler à mes collègues proches, et pour éviter les rumeurs, j'ai préféré faire un coming-out à toute la boîte. On a mis ça en place avec la DRH. Le 3 janvier 2022, j'ai envoyé un mail à 380 personnes.

Mon employeur a immédiatement changé mes bulletins de paye pour refléter ma civilité et mon prénom choisi. À partir de cette date, je suis allée dans les WC et les vestiaires féminins. (et je n'y ai agressé aucune femme, n'en déplaise à certaines). J'étais peut-être plus mal à l'aise qu'elles.

J'ai enfin pu être Gwendoline au quotidien. Mon cercle d'ami·e·s a changé. J'ai quasiment perdu tous mes amis. Je me suis faite plein de nouvelles amies et copines. Les sorties entre filles, être perçue comme telle, enfin.

THS

C'est à cette époque que j'ai commencé mon THS (Traitement Hormonal de Substitution) avec une super gynéco. C'est elle qui me suit depuis plus de deux ans. Elle est top. Elle est en train de monter un pôle transidentité en parcours libre.

Digression

le THS que reçoivent les personnes trans n'est pas quelque chose qui a été conçu spécialement pour nous. En fait, la plupart des femmes trans se voient proposer, et suivent, le même traitement hormonal qui est donné à une femme cisgenre lors de sa ménopause.

Idem les hommes trans reçoivent des traitements hormonaux initialement prévus pour les hommes cis. Quant aux mineurs trans, iels reçoivent des bloqueurs de puberté qui ont été conçus pour des enfants cis qui ont une puberté trop précoce.

Et on n'entre pas dans le cabinet d'un·e endocrinologue pour en ressortir direct avec des hormones. Même à 51 ans. Ma gynéco ne m'a pas demandé de suivi psy, car pour elle, je savais très bien ce que je voulais et où j'allais. En revanche, on s'est revues 3 mois après le premier rendez-vous.

Retour au THS

La seule chose qu'elle m'avait prescrite au premier rendez-vous était une prise de sang pour faire un état des lieux. Au deuxième rendez-vous, elle a mis en place le protocole. La prise d'hormones a été progressive. 2 pressions par jour le premier mois.

Prise de sang pour voir les taux et surveiller le reste (foie, etc). Puis 3 pressions pendant un mois. Nouvelle prise de sang. Puis 4 pressions par jour pendant un mois. Prise de sang. À chaque fois, elle me voyait après la prise de sang pour s'assurer que mon corps réagissait bien.

Ensuite, nous nous sommes revues tous les trois mois. Oui, c'est ma gynéco qui me fait mon suivi endocrino. Si j'avais voulu voir un endocrinologue, j'aurais dû passer par mon médecin traitant. Donc non, on n'a pas des hormones juste en claquant des doigts.

Chirurgies

Un mot sur les chirurgies, tant qu'on y est. Déjà : pas d'opérations sur les mineurs, autres celles effectuées aussi sur des enfants cis. Ensuite, la phalloplastie a été développée à la fin de la première guerre mondiale pour essayer de reconstruire les pénis des mutilés de guerre.

La première phalloplastie réussie, le fut par un médecin russe dont un des patients avait eu le pénis sectionné par sa femme.

La vaginoplastie a elle est pratiquée sur les enfants intersexes (souvent sans leur consentement), pour des femmes cis souffrant de malformations congénitales. La première vaginoplastie moderne fut effectuée sur une femme trans en 1931.

Quoi qu'il en soit, oui, les photos post-op peuvent être violentes. Comme n'importe quelle opération. Oui une vaginoplastie, c'est définitif, comme beaucoup d'opérations. Ce qui compte, c'est que l'écrasante majorité des personnes trans opérées vivent bien mieux après.

Attention : il n'est pas nécessaire de faire quelque chirurgie que ce soit ni traitement hormonal pour être bien dans sa transidentité. Chaque transition est unique, comme toute expérience de vie. Il n'y a pas de parcours parfaits, ni certains plus validants que d'autres.

Mes amies

Retour à mes amies et collègues. Elles m'ont toutes soutenue dès le premier jour. Elles m'ont accueillie comme une sœur. Elles me proposaient de m'accompagner dans les WC féminins quand nous sortions pour que je ne sois pas rejetées.

J'ai découvert la sororité tant rêvée toutes ces années. Loin des boutades et fanfaronnades de mes anciens potes, je m'épanouissais enfin. Ici pas de concours de celui qui pisse le plus loin, qui a la plus grosse, qui s'est tapé le plus de meufs. De l'écoute, du soutien, de la complicité.

Je me souviens d'une fois où j'avais été à un salon éphémère de tatouage avec une copine collègue de boulot. On avait toutes les deux envie de se faire un tatouage. Elle avait fait son choix avant moi. Elle voulait se faire tatouer un coquillage sur le côté du sein.

La tatoueuse lui a donné un kimono et un cache téton. Elle est partie se changer et quand elle est revenue, elle s'est allongée sur la table en se découvrant, j'ai commencé à m'éloigner, tellement habituée à cette ségrégation quand les corps se dénudent. "Reste, on est entre fille" m'a-t-elle alors dit.

Sport, vestaires et CSEC

Je me suis remise au sport, on a la chance d'avoir une salle de sport avec des coachs de l'ASM qui viennent nous encadrer tous les jours entre midi et deux. Deux semaines après, j'ai été convoquée par la DRH. Apparemment ma présence dans les vestiaires féminins dérangeait une personne.

La DRH m'a alors interdit l'accès aux vestiaires féminins. "Attributs masculins : vestiaires masculins, attributs féminins : vestiaires féminins". Je lui ai répondu que "J'ai aussi des attributs féminins" en indiquant ma poitrine naissante. "C'est le bas qui compte" m'a-t-elle dit.

C'était le soir des vacances de Toussaint. Je suis rentrée en pleurs chez moi. Oui, je pleure beaucoup, beaucoup plus qu'avant. Sont-ce les hormones, ou juste que je n'ai plus à être "un homme ça ne pleure pas". Je ne sais pas. Je sais en revanche que ça fait du bien de pleurer.

Après les vacances, j'ai réussi à lui faire comprendre le caractère discriminatoire de sa décision : "As-tu vérifié les parties génitales des autres femmes ?". Elle a accepté de revenir sur sa décision, en revanche l'accès aux vestiaires féminins me serait autorisé qu'une fois mon CSEC (Changement de Sexe et d'État-Civil) fait.

J'ai donc décidé de lancer la procédure, plus tôt que je ne le pensais. Le temps de monter le dossier, j'ai déposé ma requête auprès du procureur en janvier 2023. Le jugement fut prononcé fin mars.

Une fois le délai d'appel passé (1 mois), toute contente, je l'ai apporté à la DRH. "Il me faut ta CNI, c'est le seul document que je puisse légalement te demander" ... J'ai dû attendre plus d'un mois que le greffe fasse parvenir la demande de rectification à l'officier d'état civil.

Puis encore 3 mois pour obtenir la carte d'identité. Résultat, je n'ai eu de nouveau accès aux vestiaires féminins qu'en septembre. Tout ce temps je me suis changée dans les WC PMR. Mes collèguEs m'ont demandé pourquoi je ne faisais plus de cardio ni de renfo.

"Parce que je ne peux pas prendre de douche après." "Pourquoi ?" m'ont-elles demandé. Je leur ai expliqué la décision de la DRH, les toilettes. Elles étaient furax, elles ont dit à la DRH qu'elles ne comprenaient pas. Que jamais ma présence n'avait dérangé qui que ce soit.

Pour info, les cabines de douches sont individuelles et il y a des cabines pour se changer. Je crois même que j'étais la plus gênée quand certaines se promenaient nues dans le vestiaire. J'ai fini par savoir que c'est une personne très haut placée (et qui ne faisait pas de sport) qui se serait plainte.

D'où la réticence de la DRH à respecter les engagements pris lors de la préparation de mon coming out à l'entreprise.

Sexisme ordinaire

Globalement, je n'ai subi aucun comportement transphobe à mon égard. Certes, dans les premiers temps, il y avait des "ils" involontaires tout de suite suivis d'un "pardon, désolé, elle". Mais jamais de vrai mégenrage, comme ceux que j'ai entendus dans la rue, dans le tram ou de mon ex meilleur ami.

En revanche, j'ai constaté une différence dans la façon dont les gens interagissent avec moi, entre celleux qui me connaissaient d'avant et les nouveaux arrivants, surtout quand iels ne me connaissent que par échanges par écrit.

Celleux qui m'ont connue avant n'ont pas changé d'attitude à mon égard. Je suis une experte reconnue dans ma boîte (enfin, je pense). On me demande mon avis sur mon domaine de compétence et on en tient généralement compte (sauf quand la décision est politique).

Je n'ai pas à prouver continuellement mes compétences. Mes collègues hommes ne me mecspliquent pas. On peut ne pas être d'accord, mais on a des échanges constructifs, comme avant mon coming out.

En revanche, les nouveaux arrivants, qui ne me connaissent pas physiquement, ont beaucoup tendance à considérer que vu que je suis une femme, je n'y connais rien. Même des jeunes de 28 ans veulent m'apprendre mon job.

Quand bien même, ça fait 29 ans que je pratique ce métier, ils n'hésitent pas à me considérer comme une incompétente. Paye ton sexisme. Je sais que l'écrasante majorité des femmes le vivent au quotidien depuis leur plus jeune âge.

En tant que femme trans, j'ai bien vu la perte de privilèges associés au fait d'être un homme. J'ai aussi vécu ce que c'est d'être une femme au quotidien dans l'espace public.

J'ai vécu 51 ans dans le rôle d'un homme. Jamais une femme ne m'a sifflée dans la rue. Jamais une femme ne m'a suivie dans la rue. Jamais une ne s'est frottée contre moi dans les transports en commun. Jamais une femme ne m'a expliqué ce que je maîtrisais.

Jamais une femme ne m'a envoyé de clitpic. Jamais. En à peine 6 mois en tant que femme, j'avais tout vécu ça de la part d'hommes. 6 mois. Et je n'avais pas de passing. Juste une tenue féminine. Et je sais que je n'ai pas vu le quart de ce que les femmes vivent depuis leur enfance.

Certaines personnes diront "T'as voulu être une femme, tu assumes." Mais assumer quoi ? Que des mecs se comportent comme des merdes ? Je suis désolée, c'est du même niveau que "ta jupe est trop courte, tu l'as bien cherché."

En fait, le sentiment qui en découle est assez ambigu, je trouve. D'un côté, je suis heureuse d'être perçue comme une femme, mais d'un autre, je suis choquée du sexisme de la situation. Et dans certains cas, la peur de l'agression s'ils découvrent que je suis une femme trans.

Tout réapprendre et la sororité

Bref, nous sommes bientôt en mai 2024. Cela fera bientôt 3 ans que je suis out. Quand je regarde des photos d'avant, de pendant et de maintenant, je vois se dessiner celle que j'aurais voulu être enfant. Maintenant, je n'attends plus que d'être libérée de mon service 3 pièces.

Certes, je ne serais jamais une femme biologique. Non, je n'aurai jamais le vécu d'une femme cis. Mais je suis une femme. Je vis en tant que telle. Et mon entourage, la société, me considèrent comme étant une femme.

Mais en ce qui me concerne, ça s'accompagne aussi d'un syndrome de l'impostrice. Parce que je suis trans, je ne me sens pas légitime à dire à une femme qu'elle me plait. Je n'ai pas fait une transition pour draguer des lesbiennes. J'ai fait une transition, car je n'en pouvais plus d'être homme.

Sentimentalement, la vie était plus simple pour moi. Société hétéronormée oblige, les codes de la séduction étaient beaucoup plus simples, surtout quand on n'est pas équipée pour comprendre les signaux. Sauf que voilà, il me faut apprendre les codes de communication entre femmes.

Car oui, c'est déroutant quand une femme que tu connais à peine vient te dire "Je voulais vous dire, je vous trouve très belle." Tu te demandes si c'est de la drague, ou juste de la bienveillance, juste un compliment gratuit. Et croyez-moi, ça fait du bien ce genre de compliments.

Quand on n'a aucune estime de son corps, de son apparence, quand le reflet dans le miroir te dégoûte, quelqu'un qui te dit ça, t'aide à t'accepter. Spoiler : jamais un mec ne m'a complimentée ainsi durant ma vie sociale d'homme. Ça aurait remis en cause sa virilité.

Certes, hormis mes compagnes ou des femmes de ma famille, aucune femme ne l'avait fait non plus. Et je sais bien pourquoi. Dire de telles choses à un homme pourrait être pris comme un signe de drague.

Aujourd'hui, avec mes copines, mes amies, on se dit, comme toutes les femmes, je suppose, des compliments sur la tenue, le maquillage, la coiffure. Il n'y a pas d'arrière-pensée. On sait que ce n'est nullement une quelconque invitation à de la drague. Juste des compliments.

Mes copines savent toutes que je suis attirée par les femmes. Elles pourraient être méfiantes, me voir comme une prédatrice. Rien de cela. Seulement de l'amitié, de la complicité. On marche bras dessus bras dessous en allant faire les magasins. On se fait des soirées entre filles.

On parle de tout et de rien, de féminisme, de règles, des mecs. Il n'y a plus les barrières qui existaient avant. On passe de super moments. Et ça s'arrête là. Aucune équivoque. Aucun malaise. Ce dont j'ai toujours rêvé.

Le meilleur reste à venir

Voilà, je ne suis pas le cliché transphobe que nous dépeignent certaines personnes. Je ne cherche en aucun cas à invisibiliser qui que ce soit, et surtout pas les femmes. Je veux juste être moi, vivre ma vie sans qu'on ne me stigmatise ni qu'on m'agite comme un épouvantail.

Je ne veux pas non plus être un étendard, je ne suis pas une porte-parole. Je ne représente personne autre que moi.

Je ne suis pas courageuse non plus. C'est juste ma vie. Même mes choix opératoires n'ont rien à voir avec du courage. C'est juste avancer ou sombrer dans la folie voire pire. Ce n'est pas un choix. C'est la seule voie pour être.

Merci à mes amies et copines qui me soutiennent depuis le début, ici comme ailleurs. Grâce à vous, je vis ma plus belle vie. Je suis une femme.

Cœur sur vous mes adelphes, et merci de m'avoir lue.